Alcool-remède, Alcool-poison

Alcools remèdes, alcools poisons

EspritsDepuis quand la société considère t-elle que l’alcool est un poison et l’alcoolisme un fléau ? Sans avoir fait des recherches exhaustives, je répondrais que l’alcool commence à être considéré comme un problème de société avec le développement de l’ère industrielle vers la fin du XVIII° siècle.
Est-ce qu’avant le développement de la condition d’ouvrier l’alcool n’était pas un problème ? Ou est-ce que l’homme avait d’autres problèmes ? Je ne sais pas. Il est clair que l’ivresse éthylique était fameuse et répandue, mais elle n’était pas exposée comme un problème de société. Ce que je sais par contre, c’est qu’il y a une bascule en 1803 lorsque Napoléon impose une loi pour légiférer la fabrication des médicaments (loi du 11 avril 1803).
Que va changer cette loi qui concerne d’abord la pharmacie et non les liquoristes et distillateurs ? Et bien en fait, ce qui se passe, c’est qu’avant cette loi funeste (Lao Tzeu dans son Tao Teh King nous avait pourtant prévenu que le meilleurs souverain gouvernait le moins possible…), le pharmacien faisait certes des médicaments, mais aussi des liqueurs (médicinales), des spiritueux (médicinaux), et parfois des parfums (parfois médicinaux). Les recettes de spiritueux célèbres (Eaux d’Arquebuse, Absinthes &c…) étaient transmises dans les officines de pharmacies dont les grands représentants sont Nicolas Lémery (Élemens de pharmacie XVIII°s.) ou Moïse Charas (Pharmacopée royale, XVII° s.). De même, dans des manuels de distillateurs plus spécifiques comme le Traité Raisonné de la Distillation de Déjean (1753) propose des recettes clairement médicinales (Thériaque, Eau de mélisse des Carmes, Chartreuse &c…). Le résultat de cette situation était que les remèdes et les spiritueux étaient issues des mêmes officines, élaborés par les mêmes personnes qui intégraient naturellement les connaissances de la médecine et de l’herboristerie au savoir-faire des alcools ou des parfums.
À partir du moment où le pharmacien se spécialisait et était soumis à une législation très spécifique, il n’était plus en mesure de continuer la production des spiritueux et des parfums de sa bourgade. De même, le distillateur-liquoriste et le parfumeur n’avaient plus l’occasion de fréquenter le milieu de la santé.
C’est à partir de ce moment que l’alcool remède a perdu sa vertu médicinale, et quand un alcool n’est plus médicinal, il devient rapidement un poison.

Avant de continuer mon exposé, je ne résiste pas à citer un exemple d’alcool traditionnel qui a survécu à cette dichotomie, de plus, dans un cadre clandestin : l’absinthe. Pendant l’interdiction de l’absinthe en Suisse entre 1908 et 2005, les innombrables clandestins avaient gardé l’habitude d’acheter les plantes pour leurs recettes chez le droguiste local (qui par là connaissait toutes les recettes, ainsi que tous les distillateurs d’ailleurs). Le droguiste, en Suisse, c’est un peu l’herboriste, ou le para-pharmacien. On avait ainsi l’assurance qu’il restait un lien entre les propriétés médicinales et aromatiques des plantes de la Fée Verte, héroïne nationale (sans références douteuses).

Cette loi de 1803 avait pour but d’assurer la qualité de la fabrication des médicaments en réglant les recettes, les procédés, et bientôt les normes générales de gestion des laboratoires. Pourtant, aucun des médicaments ou des procédés du début du XIX° siècle n’ont été conçut dans des laboratoires « aux normes ». la plupart des grands inventeurs de procédés thérapeutiques travaillaient dans des laboratoires qui ressemblaient au mien (je suis artisan distillateur et spagyriste amateur). Le progrès s’est donc fait en supprimant progressivement les usages traditionnels pour les remplacer par des procédés spécialisés qui évolueront vers l’environnement pharmaceutique actuel, totalement aseptisé et déconnecté des matières premières naturelles. Il n’est pas certain que la santé publique ait gagné au change, au contraire des sociétaires des laboratoires qui eux, font parties des grands bénéficaires du système pharmaceutique.

De même, les liquoristes et les parfumeurs ont été coupés du monde de la santé à ce moment-là, et ont progressivement perdu l’intérêt pour la santé dans leurs formules et leurs pratiques.
C’est ainsi que l’Eau de Cologne, exemple représentatif, n’a plus été le parfums/boisson/remède qu’il était depuis le XIV° ou XV° siècle pour devenir une simple eau-de-toilette cosmétique. Les propriétés hygiéniques, antiseptiques et même digestives de l’Eau de Cologne ont disparues.
Dans le monde des spiritueux, il reste encore quelques traces de leurs proximité avec la médecine sans qu’on n’y prête un sens réel. Ainsi on trouve encore des « Apéritifs » et des « Digestifs », mais on ne peut plus faire référence aux qualités « apéritives » ou « digestives ». Ces termes appartiennent désormais à la pharmacopée et il est interdit de prétendre qu’un spiritueux pourrait être bon pour la santé.
À force de considérer que les spiritueux sont des poisons, cela finit par devenir vrai et les réels poisons produits par l’industrie des alcools bons marchés deviennent la norme.

L’alcoolisme semble être devenu un fléau de société avec l’arrivée de l’ère industrielle. En effet, le mode de vie industriel n’est pas vraiment naturel à l’homme et l’ouvrier cherchera vite à combler le vide créé par sa vie mécanique et destructrice. S’il n’y arrive pas autrement, l’alcool lui permettra d’oublier. Le pire est peut-être qu’il oubliera aussi d’aller pointer le lendemain d’une évasion éthylique, ou que sa fureur mettra en péril sa famille et avec, l'équilibre de la société esclavagiste. Il faut donc sévir, et c’est avec ce risque de voir les rendements baisser à cause de l’alcoolisme que commencera, au nom de la morale complice, la lutte contre l’alcoolisme.
Les taxes sur l’alcool sont un moyen rentable pour lutter contre l’alcoolisme. Le but réel des taxes, encore aujourd’hui, est de financer la lutte contre les addictions, alcoolisme en premier bien-sûr.
L’administration des douanes, qui est un gouffre financier autant qu’une police des plus inefficaces dépense probablement plus d’argent à gérer la distillation artisanale qu’elle n’en rapporte, mais cela l’occupe assez pour qu'elle puisse négliger la lutte contre les vrais drogues, la cocaïne en premier lieu.

On voit bien que la séparation de la pharmacie, la liquoristerie-distillerie, et la parfumerie (qui n’est pas que cosmétique à l’origine, je n’ai pas développé le côté médicinal de la parfumerie qui aurait mérité un vrai chapitre) est à l’origine de la dégradation de l’alcool-remède en alcool-poison. Cela n’enlève rien au fait que l’alcoolisme est un problème différent qui a sa cause dans les problèmes sociaux, la vie urbaine et industrielle en premier lieu. Cette déchéance est la cause de l’existence des taxes, et donc de la police en charge, les douanes. Cette police coûte plus cher qu’elle ne rapporte (je parle de la production artisanale, pas de la production des alcools industriels) et n’offre aucun avantage ni sur le plan de la santé publique, ni sur le plan économique.
« Ta nourriture est ton premier remède » disait Hippocrate… La solution serait alors de considérer une catégorie d’aliments utiles à la santé, les « alicaments » (et non des compléments alimentaires) et d’encourager la proximité des divers utilisateurs de l’alambic : les apothicaires-droguistes, les distillateurs-liquoristes, et les parfumeurs. L’usage alors libéré du contrôle de l’administration la plus incapable qui soit de comprendre la question, la douane donc, pourrait alors se développer comme autrefois et les distillateurs redeviendraient de véritables savants herboristes dont les spiritueux redeviendraient les élixirs qu’ils ont été avant que le professeur Nimbus ne vienne tout contrôler et tout pourrir.

Penitensia
Je dois reconnaître que cet article ne fait que survoler la question et que mon argumentation est un peu faible au niveau des pratiques et des recettes des distillateurs des XVI°, XVII° et XVIII° siècles. Mais il existe une abondante littérature qui témoigne de la connaissance approfondie des effets médicinaux des spiritueux que je pourrai développer dans un article plus fourni. De même, il existe encore beaucoup d’éléments de médecine populaire transmise chez les bouilleurs de cru qui témoignent de cet aspect médicinal de la gnôle des campagnes, pour l’homme comme pour le bétail d’ailleurs.
Je n’ai pas non plus pris le temps de donner les exemples de recettes de spiritueux que l’on peut considérer comme médicinales d’un point de vue d’herboriste, ce qui est pourtant très facile à prouver. La formulation des recettes de spiritueux et de teintures-mères pharmaceutique est pourtant très comparable.
Enfin, j’ai occulté l’aspect pourtant majeur des spécificités de la molécule d’éthanol selon son origine (fruit, grain, racine) et selon le mode de distillation (cuivre-inox, pression &c…). Ces paramètres totalement ignorés des alcoophobes et des organismes de « santé publique » sont pourtant très important dans l’assimilation de l’alcool dans le système digestif, et système nerveux. Ce sujet demandera un article complet.
L’alcool-remède est un vrai sujet pour une thèse, de médecine de préférence, et j’espère que cet article confus (et ma consommation d’absinthe n’y est pour rien !) suscitera l’intérêt qu’il mérite.

À suivre !

Ma devise : Bon Goût ! Bonne Santé ! Bonne Ivresse !

Matthieu Frécon, Sarreyer Printemps 2025

Remerciement spécial à mon « Eau de Mélisse » pour le soutien et l’inspiration dans l’écriture de cet article. Il s’agit d’un alcool (42%) à base de Mélisse et 26 autres plantes médicinales composé pour être à la fois calmant et stimulant du système nerveux (synergie Mélisse et Verveine Officinale principalement), et digestif bien-sûr. Recette originale élaborée à partir des recettes des officines de pharmacies (Dorveau, Lemery, Virey).

Eau de me lisse de bagnes

 

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