3° partie : Le Fond/La Distillation des plantes aromatiques

Cet extrait du livre "L'ALAMMBIC, l'Art de la Distillation - Alcools, Parfums, Médecines" ne reproduit malheureusement les nombreuses illustrations de l'édition papier, il est possible que la clarté du texte en soit un peu affectée.

 

 La distillation des essences

histoire, techniques de distillation, les parfums, les huiles essentielles, les hydrolats.


Les parfums sont probablement les premiers extraits de l’alambic. C’est à la parfumerie que l’on doit l’art de la distillation : la distillation des essences (également appelées huiles essentielles, ou huiles volatiles) ainsi que récemment en Occident, l’aromathérapie elle-même.

L’aromathérapie française dépend d’ailleurs encore de nos jours de la parfumerie au niveau de la réglementation.
Cette particularité lui permet d’échapper à la législation jalouse de l’ordre des pharmaciens ainsi que, dans une certaine mesure, à l’administration des douanes (les distillateurs de plantes doivent déclarer la possession et le déplacement des alambics, sans être tenus aux contrôles permanents de la production et sans être obligé d’être en activité au niveau professionnel comme les distillateurs d’alcools).

Les hydrolats (également appelés eaux distillées de plantes ou encore, parfois improprement, eaux florales) sont plus anciens que les huiles essentielles bien qu’ils sortent en général du même alambic. Ils  sont issus de la pharmacie, qui les range entre les tisanes et les macérations.
Bien que certains hydrolats soient inodores, les préparations médicinales à bases d’hydrolats sont maintenant associées à l’aromathérapie.

La distillation des huiles essentielles se pratique depuis longtemps et sert à la parfumerie et l’industrie alimentaire, elle s’est beaucoup enrichie à la naissance de l’aromathérapie moderne qui démarre chez nous avec le parfumeur et chimiste René Maurice Gattefossé en 1928 (Aromathérapie, bibliographie).

Voyons maintenant la pratique détaillée de la distillation des huiles essentielles et des hydrolats dans le contexte de l’aromathérapie.
 
a. Les plantes

Les plantes sont choisies pour leurs qualités aromatiques, ou simplement médicinales (certaines plantes ne produisent pas d’huiles essentielles mais leurs hydrolats sont quand même employés pour la santé).
Certaines plantes sont distillées de préférences fraîches (lavande, hélichryse) alors que d’autres (genévrier, laurier noble) semblent avoir un meilleur rendement après un court séchage, chaque distillateur a sa préférence à ce sujet.
La récolte des végétaux doit se faire de préférence lors d’une journée ensoleillée : l’énergie de la plante est meilleure, mais pour les fleurs, chacune a son heure privilégiée pour l’expression de son parfum.
En général, les branches ou le bois sont broyés avant la distillation. Le broyeur est, de l’avis quasi général, un outil indispensable au distillateur de plantes. Les plantes doivent être disposées avec soin dans l’alambic.

Dans le cadre de mes travaux spagyriques, lorsque je distillais à sec (sans eau d’entraînement) des graines de carvi, j’avais l’habitude de les congeler avant la distillation (le changement brutal d’état solide à gazeux est une forme de sublimation). Ce procédé particulier est donné ici à titre d’information : dans le cadre de l’aromathérapie, il n’est pas d’une très grande utilité.

b. les alambics

Le principe de distillation des plantes réside dans l’extraction des parties volatiles entraînées par la vapeur d’eau.

La marmite et la chaudière :
Il y a deux principaux systèmes : le plus simple est composé d’une marmite contenant de l’eau au fond, les plantes sont en général posées sur une grille disposée un peu au-dessus de celle-ci, de façon à ce qu’elles ne baignent pas. Le chapiteau, le col-de-cygne et le réfrigérant sont ajustés à cette marmite comme pour une distillation simple d’alcool. Les petits alambics possédant une “colonne” surmontant la marmite (qui n’est pas la colonne de rectification pour l’alcool mais une simple chambre destinée à recevoir les plantes) permettent ainsi la distillation de la plupart des plantes pour un usage personnel.

Le second système prévoit une chaudière indépendante avec une injection de la vapeur plus ou moins sous pression dans la marmite (l’avantage de la pression peut apporter un gain de temps mais peut, selon des plantes, être au détriment de la qualité). Les plantes qui sont posées sur une grille disposée au fond permettant la diffusion de la vapeur peuvent remplir toute la marmite.
Cet équipement a l’avantage de permettre une distillation plus longue : on n’est pas limité par la quantité d’eau contenue au fond de la marmite du premier système, ce qui peut être très utile pour certaines plantes qui demandent une distillation très longue pour être complète (la longueur de la distillation des plantes ne dépend pas, comme pour l’alcool, de la quantité de matière à distiller mais de la nature des plantes).

Il existe une variante moderne de cet alambic avec chaudière indépendante appelé hydrodiffuseur : comme dans un percolateur, la vapeur est injectée par-dessus les plantes, le distillat est condensé par un système réfrigérant placé sous la marmite.

Cette façon de disposer les plantes au-dessus de l’eau plutôt que baignant dedans est récente : Dorvault et tous les anciens mettent la matière à distiller dans l’eau. Cette manière ancienne s’est parfois conservée pour les hydrolats (eau de rose, hydrolats spagyriques), ou même pour les essences comme on peut encore le voir par exemple en Inde.

Le col-de-cygne et le réfrigérant sont en général identiques aux alambics simples pour l’alcool (discontinus et à repasse), ils doivent faciliter le passage et la condensation des vapeurs, sans reflux.
A la sortie du réfrigérant, le distillat n’est pas recueilli dans une éprouvette comme pour l’eau-de-vie mais coule dans une sorte d’entonnoir en forme d’assiette plate qui permet de bien voir les différentes phases de la distillation en fonction de l’apparence des essences. Cet entonnoir débouche sur l’essencier, appelé aussi vase florentin qui permet la séparation des essences et de l’hydrolat. Ces deux éléments peuvent être en inox, ce qui facilite, pour l’assiette (l’entonnoir) l’observation du distillat en cours d’opération.

Inox vs. Cuivre :
Les alambics traditionnels sont en cuivre, comme ceux qui sont destinés à la distillation des eaux-de-vie (c’était, au départ, plus ou moins les mêmes), c’est un matériau bon conducteur et facile à travailler mais il existe actuellement une certaine vogue pour l’utilisation de l’inox en remplacement du métal de Vénus.
Je ne suis pas absolument convaincu du bien fondé de ce choix pour cet alliage, assez mauvais conducteur au demeurant, qui ne se justifie que par ses qualités inoxydables, son aspect immaculé, et une solidité supérieure à celle du cuivre (ce qui est quand même très utile pour les alambics à pression ou équipés de systèmes sous vide).
Les partisans de l’inox reprochent au cuivre une contamination du métal dans les essences mais je n’ai jamais vu d’analyses prouvant soit cette contamination par le cuivre, soit une absence de contamination par l’inox qui est un alliage récent que l’on n’a pas, à mon avis, assez étudié pour avoir un avis aussi tranché sur son soi-disant caractère inoffensif (l’inox contient quand même du nickel et du chrome).
Ce que je sais, c’est que ce choix nouveau est à étudier plus sérieusement avant d’être adopté : d’une part, le cuivre est utilisé depuis trop longtemps pour qu’il puisse avoir créé des nuisances que l’on n’aurait pas notoirement cherché à supprimer, d’autre part, les huiles essentielles distillées dans l’inox ne sont manifestement pas qualitativement supérieures aux essences traditionnelles. De plus, il existe un sous-produit de la distillation dans le cuivre qui mérite d’être remarqué et qui n’est pas isolé par les alambics en inox, c’est la crape (the crap : le résidu en anglais), sorte de lie que l’on trouve parfois sous l’huile dans l’essencier, elle est épaisse et peu aromatique et il reste à en étudier les propriétés.
Le problème que pose parfois la distillation dans le cuivre est une coloration de certaines huiles, phénomène inconnu avec l’inox. Cette coloration n’est pas un inconvénient pour l’aromathérapie mais peut être gênante dans la parfumerie.
Je propose donc aux tenants de l’alambic en inox de plus approfondir les qualités du nouveau métal avant de trop vivement chercher à l’imposer au détriment d’une tradition encore vivante. Personnellement, de même que j’ai préféré ne pas remplacer ma vieille poêle en acier par une nouvelle toute moderne en téflon, je préfère attendre encore un peu avant de jeter mes marmites en cuivre…
Enfin, s’il reste possible d’acquérir actuellement à un prix raisonnable un alambic neuf ou d’occasion en cuivre, il n’est pas forcément envisageable d’acheter ou de faire fabriquer un appareil neuf en inox, sinon dans un cadre industriel.
Alors soyons prudents parce qu’aujourd’hui les normes pour interdire de danser en rond poussent comme des champignons !

Rappelons pour finir, que les agriculteurs biodynamiques (du label Déméter par exemple) refusent tout simplement d’employer l’inox parce que c’est un matériau mort.


c. L’eau

L’eau qui sert à la distillation des plantes doit être, comme celles-ci : pure et naturelle. Une eau de source ou de forage est évidemment préférable à une eau potable de réseau dont les traitements divers sont toujours à éviter, même les plus modernes (c’est-à-dire ceux qui n’ont pas eu le temps de révéler leurs vices).
Les principaux problèmes d’une eau sauvage sont le calcaire et l’activité bactérienne, tous deux éliminés par la distillation. Les problèmes dus à la pollution agricole (nitrates ou pesticides) sont malheureusement plus problématiques.
Avoir une bonne eau devient un privilège rare et précieux…

d. La distillation

Comme l’alcool, les huiles essentielles sont composées de plusieurs éléments qui passent les uns après les autres.
En revanche, la distillation de chaque espèce demande un temps de chauffe défini qui est indépendant de la quantité à distiller. Par exemple, le genévrier a besoin de 4 heures pour que son essence soit complète, que l’on distille 200 ou 800 litres de plantes. Cette durée est quand même relative au genre de matériel que l’on utilise, ainsi qu’à sa technique et son choix personnel : les distillateurs ont tous des habitudes différentes : certains distillent long, d’autres plus court. Pour certaines plantes, beaucoup marquent une pause au milieu de la distillation ce qui laisse le temps à la vapeur de mieux imbiber la fibre, ou permet la transformation chimique de certains éléments aromatiques (“Certains éléments ne préexistent pas dans les végétaux et ne se forment qu’au moment de la déchirure des vaisseaux où ils sont contenus isolément sous l’influence de l’eau, soit de végétation, soit d’intervention [c’est-à-dire la distillation]” Dorvault, p. 549 bibliographie).
Il faut donc connaître les caractéristiques établies de la distillation particulière à chaque plante, et surtout, il faut observer ce qui coule dans l’assiette à la sortie du réfrigérant : les différentes huiles qui se suivent doivent être identifiées de même que le bouilleur de cru doit reconnaitre les différents alcools. On emploie d’ailleurs les mêmes termes de têtes et de queues pour les coulées du début et de la fin de la distillation des huiles essentielles.

Le distillat qui coule est composé des huiles essentielles (insolubles dans l’eau) surnageant l’eau de la distillation laquelle reste chargée des principes solubles : l’hydrolat. Hormis le cas de quelques plantes comme la cannelle qui donnent une huile particulièrement lourde, les huiles essentielles sont plus légères que l’hydrolat et restent dans l’essencier alors que celui-ci est évacué par une sortie placée au bas du vase.

Au contraire de l’hydrolat qui ne manque jamais, la quantité d’huile essentielle peut être très réduite, cela diffère largement d’une plante à l’autre.
Les alambics à chaudière indépendante ne permettent en général pas la réinjection des hydrolats dans la distillation, ce qui se pratiquait pourtant autrefois pour renforcer le distillat (voir également plus bas l’article La distillation en Inde). Dorvault indique ce procédé de cohobation pour l’élaboration des eaux distillées médicinales (dites alors doubles).

Les alambics les plus simples peuvent, comme je l’ai suggéré au début de ce chapitre, servir à la distillation des essences de plantes au cours de l’été ou à l’automne pour ensuite, l’hiver approchant, être consacrés à celle des eaux-de-vie.
Le problème qui se pose souvent est que les huiles essentielles laissent des traces de parfums que l’on retrouvera dans l’alcool : c’est fâcheux car la goutte supporte très mal ces arômes de garrigue ou de prairie ! Le nettoyage de la tuyauterie à la vapeur est rarement suffisant et il faut recourir à une distillation de pariétaire avant de passer aux alcools, qui suffit, paraît-il, pour enlever les odeurs de lavande ou de romarin (c’est une pratique traditionnelle des alpes que je n’ai pas moi-même vérifiée).
De toute façon, je ne conseille pas l’utilisation du même alambic pour ces deux types de travaux aux odeurs aussi puissantes que différentes (et dont la réglementation est assez stricte !).


e. Récupération et conservation des huiles essentielles.

L’essencier contient les huiles qui surnagent l’hydrolat (dans le cas de petites distillations maisons, il faut bien veiller à la propreté du récipient dont les parois, si elles ne sont pas absolument propres et lisses, peuvent retenir les huiles qui restent mélangées à l’hydrolat).
Il faut les séparer et les conserver 24 heures dans un flacon non hermétiquement fermé pour une légère aération. On peut ensuite les filtrer avec un cône de papier pour ensuite les enfermer à l’obscurité.
Leur odeur évolue souvent un peu au cours des premiers jours (en général, les essences distillées dans un alambic en cuivre sentent rapidement bon). Les huiles essentielles produites par la distillation se conservent ainsi 2 ou 3 ans, parfois plus selon leur espèce.
Sous l’huile de certaines plantes, flottant sur l’hydrolat, on trouve parfois une lie : la crape, qui doit être isolée. Je n’en connais pas encore l’usage mais il est possible, si l’on s’attelle un tant soit peu à son étude, que cette boue aujourd’hui insignifiante se révèle avoir des qualités précieuses.

Les hydrolats sont connus depuis longtemps, et ont divers usages. Ils s’altèrent rapidement et il est préférable de les utiliser dans l’année : ils ont l’inconvénient de parfois développer des matières floconneuses (ce sont des algues du genre hydrocrocis d’après Dorvault) que l’on peut simplement filtrer si l’odeur n’indique pas d’altération du liquide lui-même. Ces filaments blanchâtres n’apparaissent pas dans les hydrolats qui contiennent beaucoup d’essences (certaines petites distillations qui ne permettent pas une bonne séparation de celles-ci en contiennent souvent et leur présence préserve le liquide par leurs qualités antiseptiques).
Il semble que les hydrolats produits dans des alambics en inox se conservent moins bien que ceux issus d’appareils traditionnels. Enfin, le manque de propreté d’un l’alambic peut être une cause d’altération des hydrolats.

Dans le cas de petites distillations amateurs, pour augmenter la quantité d’huile essentielle d’une plante qui en contient peu, on peut rajouter au distillat une certaine quantité (jusqu’à saturation) de chlorure de sodium. Le sel de cuisine a la propriété, apparemment due à la présence d’ions (Na+ et Cl-), de diminuer la solubilité des huiles essentielles et augmente légèrement le rendement. Un seul problème : l’huile essentielle ainsi obtenue sera salée, ce qui en diminue singulièrement l’intérêt…

Distillation maison des Hydrolats

La distillation des eaux de rose et de fleurs d’oranger est très fréquente en Afrique du nord. Les petits alambics utilisés par les particuliers permettent rarement une bonne extraction des huiles essentielles mais sont très simples d’emploi et l’on peut faire chez soi son hydrolat comme on ferait son café.

J’utilise un petit appareil de ce type pour distiller dans ma cuisine mon romarin, thym, laurier, et diverses fleurs… Ces préparations servent à la confection de sirops (boissons ou médicinaux), de lotions ou d’eaux pour la peau ou le bain, ou même simplement d’essais de nouvelles plantes.

Dans ces appareils, les plantes sont séparées de l’eau en ébullition par une grille, comme c’est le cas des alambics étudiés plus haut. Les eaux de roses ou de fleurs d’orangers se distillent pourtant traditionnellement en posant les pétales frais à la surface même de l’eau. Les vieilles recettes d’eaux de plantes donnaient autrefois ce procédé, Dorvault cite la laitue en fleur, la bourrache, le plantain, ou la pariétaire (qui ne sont d’ailleurs pas des plantes aromatiques).
Faut-il mettre les plantes dans l’eau comme les anciens, ou poser sur une grille au-dessus de celle-ci ?
 J’ai comparé ces deux types de distillation en distillant de petites quantités de fleurs de romarin (entre 1 et 50 kg.) dans mon distillateur de cuisine marocain, ou avec un alambic en cuivre à feu nu selon ces deux méthodes : chaque fois les distillats obtenus avec les plantes plongées dans l’eau étaient plus forts, mais moins fins, que ceux que j’ai obtenus en distillant à la vapeur, ces derniers contenant plus d’huile surnageant l’hydrolat. De plus, ces huiles distillées à la vapeur demandent moins de temps pour se clarifier, détail apprécié des parfumeurs.
Mes expériences isolées n’ont pas pour but de trancher de la supériorité de l’un de ces deux procédés sur l’autre, assez proches somme toute. Elles indiquent quand même que l’immersion des plantes peut très bien convenir à la préparation d’hydrolats (à la maison, dans un alambic trop petit pour pouvoir y disposer une grille par exemple), alors que la distillation à la vapeur est plus appropriée à la production des essences.

Date de dernière mise à jour : 02/07/2021