3° partie : Le Fond/L'esprit Devin/ f) Alchimie -conclusion.

f) Alchimie, conclusion.

J’ai choisi de présenter successivement la spagyrie, l’homéopathie, les élixirs floraux puis l’aromathérapie dans le cadre de l’alchimie parce que je considère que si ces sciences ne sont pas alchimiques stricto sensu, elles en ont emprunté au moins un caractère : il faut, pour les approcher, développer une certaine approche de la nature que l’on devra, faute de mieux, appeler intuitive.
En effet, la conception aristotélicienne du monde, qui est notre façon habituelle de voir les choses, consiste en un classement descriptif des éléments qui permet de fixer la réalité pour créer des repères dans le mental. Les expériences/démonstrations peuvent alors être faites selon un système appelé loi, et répétées pour éventuellement acquérir un caractère “scientifique”.
Or la réalité n’est pas fixe, elle existe au moment où elle est expérimentée par quelqu’un pour se transformer immédiatement (pour continuer sa vie pourrait-on dire). De même, dans la nature, l’expérience est vécue, ou fixée (par sa description), autrement dit, elle vit ou elle existe. C’est peut-être un aspect de la problématique alchimique du fixe et du volatil, le solve & coagula… Ce phénomène évoque le principe quantique d’indétermination d’Eisenberg qui admet que l’on ne peut pas connaître en même temps le poids et la position d’un atome. C’est d’ailleurs toute la problématique posée par la physique quantique.
Il ressort de ceci que l’alchimie et les domaines qu’elle a fait naître ne peuvent être correctement traités de façon seulement analytique et mentale : Ils demandent un mode de pensée analogique. Ce fonctionnement mental permet une expérience des choses qui est très riche et très vivante, mais rend la communication extrêmement difficile –même entre confrères alchimistes. C’est ce qui fait que la plupart des auteurs parlent de l’œuvre alchimique comme de quelque chose de très simple, “un jeu d’enfants”, utilisant une matière première souvent unique et très commune (d’après plusieurs auteurs, on marcherait dessus toute la journée), mais leurs écrits sont toujours abscons et l’on ne trouve pas deux auteurs qui travaillent d’une manière similaire, ou même qui reconnaissent leur travaux respectifs (je parle d’alchimistes ayant eu des résultats appréciables, qui d’ailleurs font l’exception dans le milieu). Un ami me disait que l’alchimie était une tour de Babel…

Ce paradoxe (richesse/isolement) est commun par son caractère indicible avec l’expérience mystique et a entraîné plusieurs conséquences. D’abord, l’isolement dans la pensée et les difficultés de transmission par la logique ou par l’expérience scientifique n’ont pas permis l’établissement de véritables écoles, mais seulement des groupes de chercheurs plus ou moins obscurs et la plupart des auteurs alchimiques sont - et j’en suis, totalement ignorants de la nature de la pierre philosophale. Ensuite, l’extrême différence entre les points de vue du rationaliste qui domine actuellement, dont l’organisation mentale vient d’Aristote (qu’il soit cartésien ou paulinien), et de l’alchimiste oblige ce dernier à une certaine prudence et a donné naissance à une grande tradition de secret et de codage.
Du secret, le lecteur de ce livre aura déjà compris que je n’en suis pas un farouche partisan (je n’en ai en fait jamais connu la nécessité), et des codages, je peux en dire quelques mots.

L’alchimie, en tant que méta-système, est si riche en possibilités que chacun y a trouvé son lot : l’industrie d’abord (métallurgie, teintures…), la médecine ensuite, puis viendront s’y abreuver les poètes et enfin, les psychanalystes jungiens. Les systèmes de codages sont également polymorphes et utilisent images, allégories, rébus et autres jeux de mots.

Je voudrais maintenant exposer brièvement deux procédés peu connus, assez difficiles à utiliser qui semblent pourtant êtres à la clé de nombreux textes alchimiques de toutes les époques et toutes les langues. Ces procédés cryptographiques permettent la description détaillée de recettes ou de procédés, en général dans leur langue d’origine.

Le plus fameux des auteurs français en la matière qui utilise abondamment cette cabale pour grimer ses textes est sans aucun doute l’énigmatique Fulcanelli. Ses deux livres ont été rédigés au début des années 1920. Ils ont l’énorme avantage sur le reste de la littérature alchimique d’avoir été rédigé dans un français qui nous est tout à fait accessible. C’est une littérature très agréable qui inspirera de nombreux surréalistes et psychanalystes (et assurera l’existence d’Eugène Canseliet qui publia Le mystère des cathédrales en 1925 et Les demeures philosophales en 1930). Il semble que Fulcanelli ait suivi les traces d’un maître de la cryptographie à l’époque : Grasset d’Orcet, archéologue et spécialiste de l’hiéroglyphie grecque antique.

Grasset d’Orcet donne, dans les articles publiés à la fin du XIX° siècle par La revue britannique, les règles de la Diplomatique, ou art de parler de plusieurs choses en même temps. Il semble d’après cet auteur que cet art fût pratiqué depuis l’antiquité selon des règles suivies et basées sur la langue internationale de l’époque : le grec.

Le premier de ces procédés du grimoire (ici du grec gramma, écriture) est l’homophonie des racines grecques. Citons par exemple : l’antimoine (stibia, désigné par ailleurs par les tibias du drapeau de la piraterie), Στιδι, qui est un quasi synonyme grec du mot voie, Στιδια, que le pèlerin foule à ses pieds pendant son périple : un terme peut alors remplacer l’autre. Citons encore, par le latin cette fois, le rapprochement du char et de la citrouille (voir Cendrillon), tous deux vaisseaux, c’est à dire alambics (cornues), grâce à leur racine commune cucurbite.

Le second procédé, intraduisible celui-là, est la lecture en filigrane signalée par des ritournelles ou, retours en L ; on connaît aussi le procédé du rébus, de l’anagramme, &c… Ces procédés argotiques sont souvent signalés dans le titre ou le début d’un passage codé par ce chiffre. Ainsi les titres Le mystère des cathédrales ou Les demeures philosophales indiquent l’emploi de la ritournelle.
Je pourrais citer un grand nombre de phrases ou d’expressions ainsi codées mais le sens du déchiffrement resterait probablement (à mon stade) à un niveau plus ludique que pratique : citons pour exemple un extrait du Mystère des cathédrales, p. 214 : un paragraphe citant Grasset d’Orcet qui est indiqué par une ritournelle (La lettre S qui emprunte la…) dans lequel on trouve la suivante Grâce à la valeur symbolique… que je lis Grasset a lavé l’or
J’ai bien précisé que cette lecture amusante qui évoque le mètre de François Villon et la poésie surréaliste était de ma lanterne, et peut-être pas celle de l’auteur ! De plus, son intérêt pour le travail du distillateur est très limité et l’on ne peut pas s’arrêter à ces jeux d’enfants hermétiques… (Les doubles lectures comme celle que je cite ici au simple titre d’illustration courent habituellement sur quelques lignes et ont un sens plus intéressant que l’extrait cité, quoique gardant encore souvent un caractère énigmatique).
De toute façon, ce court paragraphe sur Fulcanelli et Grasset d’Orcet n’a d’autre ambition que d’éveiller des curiosités, étant entendu que mon fil d’ariane reste l’observation et l’imitation de la nature.

Je promets quand même aux curieux un traité sur Les pommades philosophalles, occulté à souhait dans cette même veine dans un ouvrage ultérieur… Mais pour l’heure, revenons à nos cornues.

Pour conclure, et sans craindre le paradoxe, voici la traduction d’un texte connu pour être l’un des prototypes de la littérature alchimique –donné par Hermès Trismégiste lui-même– (mais probablement écrit dans l’Égypte hellénistique du IV° siècle avant JC.) et qui donne, d’une façon allégorique (peut-être plus, mais je n’en possède pas le code) une description du processus et du but alchimique :

La Table d’Émeraude

Il est vrai, sans mensonge, certain et très véritable : Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ; par ces choses se font les miracles d’une seule chose.
Et comme toutes les choses sont et proviennent d’Un, par la méditation d’Un, ainsi toutes les choses sont nées de cette chose unique par adaptation.
Le Soleil en est le père, et la Lune la mère. Le vent l’a porté dans son ventre. La terre est sa nourrice et son réceptacle. Le Père de tout, le Thélème du monde universel est ici. Sa force ou puissance est entière si elle est convertie en terre.
Séparere la terre du feu, le subtil de l’épais, doucement avec grande industrie. Il monte de la terre et descend du ciel, et reçoit la force des choses supérieures et des choses inférieures.
Tu auras par ce moyen la gloire du monde, et toute obscurité s’enfuira de toi.
C’est la force, forte de toute force, car elle vaincra toutes choses subtiles et pénétrera toutes choses solides. C’est ainsi que le monde a été créé. De cela sortiront d’admirables adaptations, desquelles le moyen est ici donné.
C’est pourquoi j’ai été appelé Hermès Trismégiste, ayant les trois parties de la philosophie universelle.
Ce que j’ai dit de l’œuvre solaire est complet.

La traduction est inspirée de Fulcanelli (cf. Les Demeures Philosophales Vol. II, p. 312 éd. Pauvert).

Date de dernière mise à jour : 02/07/2021