3° partie : Le Fond/ a) L’Alchimie -intro. ; b) la Spagyrie
a) Alchimie, introduction.
Notre science actuelle conçoit une mystérieuse création de l’univers, gracieusement nommée Big Bang, avec quelques éléments qui vont s’organiser, probablement au hasard, pour arriver à l’apparition d’un évènement sans précédent, peut-être même d’origine extra-terrestre : la vie.
Cette conception des choses est à mon avis une transposition refoulée du récit biblique de la création du monde, et qui prépare à une conception de la vie comme étant supérieure à la matière inerte et bien sûr, à la suprématie de l’homme dans la nature.
Cette vision mécanique nous rassure (par ses promesses) dans le désespoir qu’elle a créé et nous place sur terre comme des héros sans cesse en lutte dans un monde hostile grouillant de bactéries et de virus cauchemardesques dont nous aurons (sans doute) bientôt la parfaite maîtrise…
Mentalité rationaliste assez récente (2 siècles dans l’humanité, c’est peu) et parfois encore légèrement adolescente qui indique quelques problèmes relationnels avec la vieille science : l’Alchimie.
Voici ma façon personnelle de voir les choses et leur origine, qui vient de ma pratique de l’alchimie (et de la distillation de l’eau-de-vie…).
Au commencement, au tout début des choses, avant même le début des temps, il n’y a qu’une chose.
Elle ne peut pas se regarder l’ombilic puisqu’elle n’a pas d’ombilic.
Comment même peut-elle savoir qu’elle existe ? Probablement qu’elle ne le sait pas.
Cette chose est la vie, c’est la première des choses. A mon sens, le temps et l’espace sont des développements de cette vie source.
Plus tard, ces derniers plus ou moins en place, la vie prend un aspect matériel sous la forme de quelques éléments connus des astrophysiciens pour être les premiers dans l’univers : gaz méthane, ammoniaque, azote, gaz carbonique, eau &c… bref, tout ce que l’on trouve dans un milieu qui fermente.
Je pense que la fermentation est le premier processus (ou un processus très primitif) de la vie dans la matière et que ce n’est pas pour rien que les éléments cités plus haut sont tellement importants pour les alchimistes.
L’alchimie, telle que je la conçois ici, est une tentative de retrouver cette vie primordiale par un travail en laboratoire pour “réparer” l’être dégénéré actuel (l’homme, ou la nature).
Son principe est spagyrique (du grec spao, séparer, extraire, et ageiros, réunir) c’est-à-dire que l’on considère qu’il faut séparer les éléments choisis pour à nouveau les réunir () après différentes opérations dont la principale est encore la fermentation. Ces éléments (ces êtres) seront alors régénérés, génétiquement modifiés si l’on peut dire, mais pas dans le même sens que les pseudos végétaux qui envahissent aujourd’hui notre planète...
Notre Art, comme disent les alchimistes, s’intéresse à la nature dans son entier et pas seulement à l’homme qui n’est pas forcément considéré comme la raison d’être seule et finale de la “création”. Son but est une médecine universelle qui guérit les maladies du corps, de l’âme (l’ignorance de sa vraie nature), et des métaux (transmutation) ; pour l’alchimie, ce sont trois aspects d’un même problème.
L’alchimie, du moins en Occident, tire sa source dans la terre noire du Nil de l’Egypte ancienne (Al Kemit : la noire), et prend sa forme à Alexandrie dans les siècles précédents notre ère.
Il semble que l’aspect industriel de l’art (métallurgie, teinturerie &c…) ait été - avec la philosophie et la cosmogonie mystique de l’Egypte hellénistique - prédominant au début. La médecine s’y joindra pendant la période musulmane. Elle se développera dans le monde musulman et passera dans la chrétienté par l’Espagne autour du XI° siècle.
A ce moment, les alchimistes sont tous connus pour leurs connaissances en médecine et en métallurgie, et le travail spécifiquement alchimique sera souvent confondu avec ses ramifications qui forment, plus que l’alchimie mère, le sujet de ces chapitres.
Mais mon but dans ce petit exposé n’est pas tant l’histoire exhaustive de l’alchimie et de ses acteurs que de transmettre une certaine philosophie appliquée à ma vie de distillateur, je renvoie le lecteur intéressé par le sujet à la bibliographie en fin de volume pour passer brièvement à Paracelse, le père de la spagyrie moderne, de notre médecine iatrochimique (qui utilise des remèdes chimiques), ainsi que de pas mal de médecines dites douces.
Théophraste Bombast von Hohenheim, dit Paracelse, est né en 1493 près de Zürich. Initié à la médecine et à l’alchimie par son père, il développa sa connaissance pratique de la nature dans les mines et les forges du Tyrol, et sa connaissance médicale en soignant les mineurs.
Médecin extraordinaire auteur de nombreuses guérisons remarquables (Froben, Erasme…), écrivain prolifique, et vagabond au caractère impétueux “Toujours ivre et toujours lucide” (Rabelais), il laissera à sa mort précoce en 1541 une empreinte profonde sur la médecine et sur l’alchimie, qui n’a pas fini de nous inspirer.
Le système de Paracelse est hermétique et en même temps très méthodique et expérimental. Hermétique, parce qu’inspiré de la tradition dont Hermès (ou Thot ou encore Mercure selon qu’il vienne de Grèce, d’Egypte, ou de Rome) est le père légendaire - voir sa table d’émeraude reproduite en fin d’article.
A la base de l’hermétisme se trouve le mode de pensée analogique, radicalement différent de la pensée analytique. L’analogie est intuitive et sensible, et permet des découvertes que l’on ne peut obtenir par l’analyse. L’inverse valant également, je ne considère pas que l’un de ces deux modes de fonctionnement soit exclusivement suffisant ou même simplement supérieur à l’autre.
L’analogie permet de faire des correspondances entre des éléments, de les classer selon leurs signatures, de comprendre leurs influences relatives malgré leurs différences physiques ou chimiques. Ainsi, le principe homéopathique similia similibus curentur (les semblables sont guéris par les semblables) est une application de ces principes comme on le constate par exemple avec la dilution du Tournesol qui soulage des désagréments du décalage horaire causé par les voyages en avion.
Le principe des signatures est un classement des éléments (plantes, minéraux, corps célestes…) qui suggère l’influence d’un principe (représenté par l’une des sept planètes traditionnelles, ou l’un des quatre éléments d’Aristote) sur tous les êtres qui portent sa signature. Ainsi, le Millepertuis est une plante régie par le Soleil (sa macération dans l’huile d’olive se fait d’ailleurs exposée au soleil), et l’Armoise est dite vénusienne, ce qui est en accord avec ses propriétés thérapeutiques (elle est indiquée pour l’aménorrhée) au point qu’on la qualifie de plante des femmes.
La théorie des signatures a récemment trouvé une preuve de sa cohérence avec les cristallisations sensibles au chlorure de cuivre, système d’analyse mis au point par l’antroposophe E. Pfeiffer en Suisse au début du XX° siècle.
Ces principes hermétiques, rappelés par Paracelse sur les bases de l’Alchimie, sont à l’origine de beaucoup de nos médecines douces qui en sont plus ou moins directement issues.
b) La spagyrie
Le mot apparaît la première fois chez Paracelse. Cest une méthode thérapeutique basée sur une vision énergétique globale de l’homme dans l’univers. Cette méthode a connu au XX° siècle un certain développement avec Alexandre Von Bernus (Médecine et alchimie, Belfond 1969) et surtout Fr. Albertus (Albert Riedel) dont le Manuel de l’alchimiste a été traduit en français par MAAT/LPN en 1974 (bibiographie). Ces deux auteurs ont fortement influencés la plupart des écoles spagyriques actuelles en Europe ou en Amérique du Nord.
Dans la théorie, la préparation spagyrique consiste à séparer les trois principes d’une plante pour les réunir après les avoir mûris ou purifiés. L’opération doit être reconduite plusieurs fois jusqu’à l’obtention d’un élixir, voire d’une pierre végétale (de l’arabe Al Iksir, la pierre ; ou du grec Kseron, médicament).
Ces trois principes sont :
a) Le soufre, qui est l’âme de la plante, c’est l’huile essentielle.
b) Le mercure, son esprit, liquide extracteur obtenu par la fermentation, puis distillation, c’est tout simplement notre alcool, ou esprit-de-vin (ou parfois, selon les besoins, un produit voisin comme le vinaigre rectifié).
c) Le sel de la plante, son corps, qui est formé des restes de la calcination de la plante.
Ces termes, comme souvent dans ce domaine, ne désignent pas des éléments chimiques précis, mais des principes. C’est cette nuance subtile qui nous fait facilement confondre hermétique avec obscur, ce qui est souvent un sujet d’agacement pour nos esprits scientifiques un peu trop modernes…
Le soufre de chaque plante est différent, alors que le mercure est unique dans le règne végétal, le sel est en général le résidu de la calcination de la plante traitée, mais on le remplace parfois (ce qui est – à mon avis, une erreur) par du carbonate de potassium acheté dans le commerce (D’après moi, il est toujours plus instructif de préparer soi-même ses propres produits).
Dans la pratique, il s’agit d’extraire le soufre (l’huile essentielle) de la plante par une circulation de cette plante fraîche ou sèche (les graines, ou parties supérieures en général) dans l’alcool (alcool de vin de préférence) acüé par une forte rectification, 96° est suffisant à mon avis, et purifié de ses phlègmes lors des distillations successives (jusqu’à 6 ou 7).
C’est Raymond Lulle qui a le premier posé au XIII° siècle les éléments de ce travail spécifique. L’extracteur de soxhlet est l’instrument habituel pour cette opération mais si l’on n’est pas équipé, une longue macération à bonne température, 35/40°c., pendant un mois peut permettre une extraction suffisante (la simple macération a surtout l’avantage d’éviter la cuisson de la teinture).
Notre teinture obtenue (c’est alors une simple teinture-mère), il faut calciner les restes de la plante en augmentant leur quantité avec d’autres plantes sèches de la même variété pour obtenir un sel gris/blanc (un simple four de cuisine peut ne pas suffire, d’ailleurs cette opération n’est pas toujours la bienvenue dans une cuisine…).
Ce sel est parfois lessivé avec de l’eau distillée par vos soins, ce qui est facile à faire quand on a déjà distillé son esprit-de-vin, et re-calciné (la partie recherchée dans ces sels est la partie soluble qui se récupère par évaporation, ou distillation, de cette eau de lessivage).
Si la calcination est mal conduite, il est possible que le Feu du Sel soit perdu pendant une inflammation indésirable.
A ce stade, et c’est là que l’on quitte le domaine des teintures-mères, il faut cohober (c’est-à-dire reverser, en une fois ou progressivement) la teinture sur son sel. On laisse digérer quelque temps en couveuse, laquelle correspond pour certains à l’athanor des anciens (à 35/40°c.), on sépare à nouveau par distillation, on recommence les calcinations et lessivages du sel, et l’on cohobe encore.
L’élixir ainsi obtenu peut être consommé tel quel (quelques gouttes) ou poussé plus loin dans les mêmes opérations jusqu’à ce que le sel prenne un aspect fondant, cireux : c’est une pierre végétale, difficile à obtenir mais réputée pour sa puissante vertu thérapeutique.
Cette opération est la principale en spagyrie. C’est un certain travail qui demande au préalable une bonne maîtrise de la distillation de l’esprit-de-vin (c’est la base de la pratique).
D’autres travaux sont également très intéressants, mais je renvoie l’intéressé à La Nature Dévoilée (voir bibliographie), grand classique de cet art datant du XVIII° siècle qui donne mille recettes et transmet parfaitement l’esprit spagyrique dans un langage très simple et très didactique.
L’utilisation d’une teinture spagyrique peut obéir aux règles s’appliquant aux teintures-mères classiques (selon les propriétés thérapeutiques connues des plantes) ou, dans un cadre plus hermétique, en accord avec la signature de la plante, dans un but énergétique plus global.
L’intérêt, à mon avis, se trouve entre les deux : c’est-à-dire qu’il est important de tenir compte des deux systèmes de pensée et de ne pas négliger les propriétés hermétiques et classiques de chaque plante en particulier.
Par exemple, le Chardon Marie est réputé être sous l’influence de Jupiter, ce qui n’empêche pas qu’il reste la plante médicinale que l’on connaît en herboristerie avec ses propriétés spécifiques. Disons que plus le produit est poussé loin dans les opérations, plus les propriétés classiques de la plante laissent la place à l’énergie, à l’être au sens paracelsien.
Ce principe de sublimation du produit d’origine se retrouve d’ailleurs dans l’homéopathie où la faible dilution correspond à un type de maladie, alors que la haute dilution s’adresse plutôt à un ensemble de symptômes, pour une catégorie de personnes.
Il a été fait mention du vinaigre rectifié pour parfois servir de mercure spagyrique. Le vinaigre, l’acide acétique, est une oxydation de l’alcool (on peut dire que c’est une seconde fermentation). La différence communément admise entre les deux vient de leur degré de fixité : l’alcool est plus volatil que le vinaigre (qui bout à 117°c.) et la direction prise pour la préparation sera différente.
L’utilisation du vinaigre pour les élixirs spagyriques n’est pas fréquente mais il est quand même utile de donner quelques éléments pour sa préparation.
Le vinaigre se concentre soit par congélation (à la manière de l’Apple Jack, voir plus haut), ce qui permet de conserver l’acide avec les principaux autres éléments qui se décongèlent d’abord, l’eau seule restant isolée ; soit par distillation pour ne garder que l’acide, ce qui est plus difficile. Pour distiller le vinaigre, Dorvault conseille d’augmenter la température d’ébullition de l’eau en saturant le vinaigre de sel (simple sel de cuisine : chlorure de sodium) : l’acide passe alors avant l’eau et les autres composés.
Il faut aussi noter la différence entre le vinaigre de vin (acide acétique) et le vinaigre de cidre, différent dans sa composition.
Enfin, parmi les mercures spagyriques, citons encore l’éther, extrêmement volatil (il bout à 35°). L’éther sulfurique se fabrique (toujours d’après Dorvault) en versant doucement de l’acide sulfurique sur de l’alcool pendant sa distillation (information transmise à titre indicatif : personnellement, je n’ai jamais osé essayer…).
Dans ce travail spécifique, la fermentation est présente dans l’obtention du mercure sous la forme de fermentation alcoolique (). Il existe d’autres formes de fermentations tout à fait intéressantes qui produisent d’autres types de mercures mais je ne préfère pas trop développer ce sujet dans un ouvrage consacré à la distillation. Citons quand même, pour exciter la curiosité, la fermentation de certaines plantes (Dorvault cite le Chénopodium vulvaria) dans le carbonate de potassium ou de sodium, qui produit de l’ammoniaque (peu utile pour la confection d’élixirs ou de liqueurs, j’en conviens…). De même, les purins obtenus par macération dans l’eau (les jardiniers connaissent bien le purin d’ortie) sont des fermentations très utiles pour certaines extractions. J’insiste un peu sur ce point car, comme je l’écris au début de cet article, je considère que la fermentation est une forme primitive de la vie.
Pour conclure ce petit chapitre de présentation de la spagyrie, il faut rappeler que l’être, l’ens pour employer le terme de Paracelse, de la plante (si l’on travaille dans le règne végétal, qui est le plus fréquemment visité, mais non le seul en spagyrie) est notre principe de base. C’est-à-dire que l’attention est portée sur la vie (pardonnez mes répétitions…), plus que sur la matière même qui n’est que son support et qui en dépend totalement.
Les principes hermétiques ou naturels se rapportant à la vie doivent toujours être présents à l’esprit du spagiriste, ce que lui rappelle la devise le sage cherche à imiter la nature.
Comme le sait bien l’agriculteur, travailler avec les saisons (les deux premiers signes du printemps sont connus pour permettre le commencement du travail), ou les phases de la lune est d’une importance non négligeable.
Plus simplement encore, prendre le temps de laisser mûrir les macérations, respecter la douceur des températures, ou observer les conditions et le milieu naturel de croissance des plantes sont indispensables : il s’agit d’être invité à découvrir les secrets de la nature, pas de la violer.
Voir aussi sur ce site l'article Spagyrie et Alchimie
Date de dernière mise à jour : 02/07/2021