1° partie : La Tête/1. Les premières gouttes/ c) L’alambic au Moyen-âge
c) L’alambic au Moyen-âge : les Arabes, l’Espagne, l’école de Salerne, Arnaud de Villeneuve, l’atelier du Louvre
Le Moyen-âge n’est pas cette période obscure et vide trop souvent décriée à l’école par le passé : elle est notamment marquée par l’influence orientale transmise par les Arabes, nos voisins en Espagne pendant sept ou huit siècles. On leur doit l’introduction en Occident chrétien de la philosophie, la médecine, et l’alchimie.
Mais c’est dans la chrétienté que la distillation se perfectionnera (et que de médecine, l’eau-de-vie deviendra boisson…) : On pense que c’est en Italie, à Salerne, qu’un médecin connu sous le nom de Salernus († 1167) posa les bases de la distillation alcoolique avec un alambic à condensation extérieure au chapiteau (c’est-à-dire, utilisant un genre de serpentin). Un siècle plus tard, à Florence, Taddeo Alderotti décrit la distillation fractionnée (notre repasse) et le serpentin plongé dans un bain d’eau. Chez nous, l’alambic est chanté par Jean de Meung dans son Roman de la rose (vers 1270) : je vois maintes fois que tu plores cum alambic sus alutel…
Arnaud de Villeneuve (1235-1313), montpelliérain notoire bien qu’il fût aussi parisien, est également connu pour avoir été un pionnier de la distillation de l’alcool et de l’utilisation de son pouvoir d’extraction (teintures mères). Il la décrit longuement dans son De conservanda juventute (1309, imprimé en 1585) : “On extrait par distillation du vin, ou de sa lie, le vin ardent, dénommé aussi eau-de-vie. C’est la portion la plus volatile du vin.” et plus loin : “Elle prolonge la vie et voilà pourquoi elle mérite d’être appelée eau-de-vie. On doit la conserver dans un vase d’or ; tous autres vases, ceux de verre exceptés, peuvent l’altérer (...) En raison de sa simplicité, elle reçoit toute impression de goût, d’odeur et autres propriétés (...) Lorsqu’on lui a communiqué les vertus du romarin et de la sauge, elle exerce une influence favorable sur les nerfs…”.
Plus tard, sur les traces d’Arnaud de Villeneuve, Raymond Lulle décrit la distillation de l’eau ardente, tirée du vin, (qu’il appelle aussi mercure végétal -voir le chapitre spagyrie plus loin), qu’il rectifie jusqu’à sept fois, enlevant les phlegmes jusqu’à ce que le produit brûle sans laisser de traces d’eau. Arnaud de Villeneuve, ou peut-être Raymond Lulle, est aussi l’inventeur du procédé de mutage des vins (ajout d’alcool dans le vin pour en augmenter le degré), qui inspirera les premiers vins doux dans le midi de la France.
La découverte de l’alcool rectifié, titrant apparemment plus de 90°, fût sans doute une étape décisive, en tout cas enthousiasmante, dans l’évolution de la science. Le nom même d’eau-de-vie, qui est donc une référence à l’élixir de longue vie, est significatif de cette importance.
A partir de ce moment, les techniques de distillation (invention du serpentin décrite par Michel Savonarole, Confidentia Aqua Vitae 1440) et les types d’alambics vont se multiplier avec les découvertes chimiques, que s’approprie lentement la médecine jusqu’à ce que Paracelse (1493-1541) pose les bases de la pharmacopée moderne. C’est ce révolutionnaire de la médecine, un peu trop oublié, un peu trop évité, qui a inventé probablement un jour d’inspiration, voire d’influence… le terme Alcool, qui désignait alors une poudre fine (de sulfure d’antimoine en général : c’est notre Khôl).
On n’a pas encore découvert la raison de Paracelse pour le choix de ce terme, sinon que l’alcool est, comme la poudre qu’il désignait au départ, raffiné. En tous cas, il a été immédiatement adopté à l’unanimité.
Date de dernière mise à jour : 02/07/2021