Écologie et Alchimie

Depuis la dernière catastrophe nucléaire (Fukushima, j'espère qu'il n'est pas déjà besoin de préciser), on pouvait penser qu'un certain éveil des consciences allait se produire… en effet, une lueur d'éveil semble commencer à poindre, dans le monde écolo surtout. Dans le petit monde des alchimistes, en revanche, il ne s'est pas produit grand chose… c'est assez affligeant quand on sait que la nature est l'oratoire et le laboratoire de l'alchimiste.

Lorsque je découvrais l'alchimie, il y a un peu plus de 20 ans avec Les Philosophes de la Nature (LPN), mon principal livre d'étude était (et reste…) La Nature Dévoilée (il est déjà beaucoup question de nature dans cette première phrase !). Ce traité très pratique propose notamment un travail sur l'eau de pluie, eau de pluie d'orage principalement. Je récoltais donc quelques bonbonnes de ce don du ciel que j'ai utilisées pendant plusieurs années. Plus tard, devenu distillateur, je ferai mon premier réglage d'eau-de-vie (c-à-d. baisser le degré de l'alcool en rajoutant de l'eau) avec cette eau vieillie à l'obscurité dans sa bonbonne (cela a été la meilleure eau que j'ai jamais utilisé pour cette opération de bouilleur de cru…).

J'ai appris avec l'alchimie un amour particulier pour la nature, pour la vie. De même, la médecine a toujours été au cœur de mes préoccupations d'alchimiste, médecine pour l'homme bien sûr, mais aussi pour les plantes, pour la nature en général.
Cette attitude se retrouve ça et là un peu partout dans la littérature alchimique, mais pas partout reconnaissons-le. En effet, la nature puissante et généreuse n'a pas toujours eu besoin d'être protégée : elle était trop "naturelle" en quelque sorte pour que les auteurs en éprouvent le besoin de la chanter…

C'est, en gros, depuis la seconde guerre mondiale que la situation a changée : le développement de l'agriculture chimique, les produits pétroliers, et, la cerise sur le gâteau : le nucléaire (tous issus de la situation créée par la guerre).

Chez les alchimistes, c'est l'enthousiasme pour les nouvelles techniques, la radioactivité surtout. Jacques Bergier, proche de Canseliet, développe le mythe de l'alchimiste apprenti-sorcier capable de concocter une bombe atomique sur sa gazinière… Il faut dire que les Curie passent pour avoir cherchés la Pierre Philosophale dans les matières radioactives…
Du coup, l'alchimiste, d'artisan ou médecin plutôt rural qu'il avait été, se retrouve devenu intellectuel citadin. C'est vrai que déjà, avant la publication des livres de Fulcanelli, Irène Hillel-Erlanger proposait dans ses Voyages en Kaléidoscope une alchimie à la pointe de la modernité, et très parisienne. Fulcanelli lui-même raconte dans Le Mystère des Cathédrales son attirance pour ces monuments humains, sans souffler mot sur le modèle de la nature (mais rappelons qu'à son époque -le XIX° siècle-, la nature n'avait pas besoin d'être particulièrement chantée, sa présence naturelle suffisait).


Pendant mon apprentissage aux Philosophes de la Nature, j'ai pourtant appris que l'alchimie avait aussi pour but la restauration de la nature, et proposait même la recréation d'espèces que l'homme aurait fait disparaître (d'après mes souvenirs de séjours chez Jean Dubuis). Fulcanelli (Les Demeures Philosophales T.I., p. 262) parle aussi de l'un des trois buts de la Pierre Philosophale qui est l'accroissement des végétaux. Des expériences ont d'ailleurs été faites dans ce sens qui ont données des résultats assez étonnants en terme de rendement des cultures ainsi boostées par des préparations alchimiques -je vous ferais part de ces travaux, les miens où d'autres, dans un autre article, quand les moissons seront plus avancées. Il n'y a guère que Rudolf Steiner, qui n'est pas à proprement parlé un alchimiste bien qu'il ait une formation et une démarche hermétique, avec son système antroposophique qui ait développé une science qui n'est pas très éloignée de notre démarche alchimique : la biodynamie (dont certaines techniques peuvent d'ailleurs être très utile à l'alchimiste).

Qu'en est-il aujourd'hui ?
Peut-on encore récolter l'eau de pluie d'orages sans recueillir la pollution industrielle ? va t-on encore longtemps pouvoir utiliser le sel marin sans augmenter dangereusement la radioactivité de nos élixirs ?
Il n'est guère question de ces interrogations chez nos confrères alchimistes, sans doute trop occupés à leurs très importants travaux (leur développement personnel…). Je n'ai pas beaucoup d'échos d'un quelconque éveil des consciences sur le plan de l'écologie. Il n'y a guère, à ma connaissance, que Stéphane Barillet qui pose la question de la pollution dans son cours.
J'en conclus que l'alchimiste est un surhomme dont les préoccupations sont au-dessus de ces questions matérielles.

Ce n'est pas mon cas.

Comme la plupart de mes amis alchimistes, Je vis à la campagne, je travaille la terre, je récolte la rosée, je cuits mes plantes et mes minéraux au soleil… j'ai besoin de la nature. Je ne peux pas rester silencieux devant la destruction de la terre.
Quel est le sens du développement et de l'hégémonie de l'agriculture chimique, ? de la médecine synthétique ? des produits et des instruments à durée de vie volontairement limitée ? de la continuation du développement de l'énergie nucléaire ? de la guerre… ???

Sans tomber dans la théorie du complot que l'on trouve sur Internet, un peu simpliste, il faut bien reconnaître que le sens de tout cela est bien une situation de monopole (la "mondialisation") dont l'effet est une dépendance de plus en plus totale des individus. A ce train là, il n'y aura bientôt plus moyen même de vivre dans une relative autarcie, en se nourrissant du fruit de son travail, entretenant sa santé avec une vie saine, développant son esprit dans l'harmonie naturelle, loin des influences radios…
Je ne fait pas l'éloge d'un certain type de vie, je ne condamne pas non plus le développement technologique, là n'est pas la question. La question est que bientôt, entre les guerres, les catastrophes nucléaires, et les crises économiques, il ne sera plus possible de vivre une vie un tant soit peu naturelle : plus d'alchimie, plus de médecines naturelles…


Vers mes 14/15 ans, je pouvais aller acheter un litre d'éther ou de formol chez le pharmacien (15 km. en mobylette !), lequel connaissait d'ailleurs tous les champignons de la région, pour mes travaux de jeune ornithologue… Dans les années 80, le service d'achats groupés de LPN permettait de se fournir en plantes ou en minéraux sans restrictions (vous pouviez travailler la garance tinctoriale, la corne de cerf, le mercure métal ou tout autre chose rare qu'un alchimiste peut avoir besoin), aujourd'hui, le nombre de voies que vous pouvez travailler s'est singulièrement limité vu les interdictions sur la plupart des produits de base… au nom de notre sécurité…

Que reste t-il ?

Que nous reste t-il à faire ?

Je n'appelle pas à un soulèvement révolutionnaire au nom de l'alchimie, ce qui d'ailleurs est un système de fonctionnement totalement dépassé, comme tout les appels au fonctionnement communautaires, il n'est pas question de se regrouper sous une bannière. Les alchimistes devraient avoir un sens assez aigu de l'individualisme dans la fusion avec l'univers ("chaque homme et chaque femme est une étoile" disait Crowley) pour que le travail de chacun puisse ajouter sa lumière à l'obscurité commune. Ce que je souhaite, c'est que l'alchimiste, et toute la communauté virtuelle des alchimistes, consacre un peu plus de son travail et de ses préoccupations à la restauration de la nature.
Les Rose+Croix de la Fama Fraternitatis (1614) faisaient vœux d'être "médecin à titre bénévole"… médecins de l'âme certes, mais aussi médecins du corps bien sûr, et bien évidemment encore, médecins universels : pour la restauration de la Vie et de la Nature…

Date de dernière mise à jour : 02/07/2021