L'Eau-de-vie de pommes de terre
- Le 02/02/2013
- Dans Technique de distillation des alcools
La Vodka, alcool de pommes de terre
Suivi de notes sur la distillation des châtaignes
Cette année, j'ai fait un petit essai d'eau-de-vie de pommes-de-terre. C'est Armin Marchon (www.brennerei-marchon.ch/), distillateur à Bösingen près de Bern en Suisse qui m'a donné le procédé.
L'eau-de-vie de pommes de terre n'a pas une très bonne réputation, en effet, autrefois les pays du Nord de l'Europe qui n'avait d'autre choix que de souffrir du froid ou de souffrir de l'alcoolisme ont produit de grosses quantités d'alcool de piètre qualité et la Suisse elle-même a connu au XIX° siècle un important problème d'alcoolisme due notamment à la distillation de notre tubercule (d'ailleurs ce problème a été réglé de façon magistrale en encourageant la plantation de vergers et en améliorant la technique de distillation. C'est une idée bizarre pour nous les français qui ne marchons qu'à grand coups d'amendes et de retraits de permis de conduire, mais le résultat est là…).
Aujourd'hui, la vodka populaire n'est plus faite à partir de pommes de terre mais de grains (blé…), c'est, en gros, de l'alcool neutre aromatisé, et l'eau-de-vie de pommes-de-terre n'est plus qu'une curiosité.
Un producteur de mes voisins, toujours très intéressé par mes recherches, m'a donné quelques 200 Kg. de tubercules abîmés à la récolte. C'étaient des pommes-de-terre Charlottes ou Désirées, de culture biodynamique. Des pommes de terres vraiment excellentes, c'est un point très important qu'il faut noter.
La recette que j'ai suivie ne précisait pas si les fruits devaient être épluchés ou non, je pensais que oui (la peau est très amère), et deux whoofeuses en visite à la distillerie m'ont activement encouragées et aidées : nous avons ensemble épluché à la main quelques dizaines de kg. avant d'abandonner et de laver le reste sans plus de soins (je sais maintenant qu'il existe des patateuses pour éplucher plus efficacement…). La plus grosse partie des pommes de terre n'ont donc pas été épluchées.
Et puis j'ai suivi la recette qu'Armin m'a donné, et que notre ami Fritz Etter m'a très aimablement traduite (Cette traduction est reproduite en bas de l'article).
La cuisson et les paliers de température ont été fait dans une cuve d'alambic, donc de manière assez approximative, la fermentation a été effectuée dans une pièce chauffée (la saison des patates est trop tardive pour une fermentation à température extérieure).
La distillation n'a pas posé de problèmes particuliers (ça ne colle pas au fond de la marmite), les têtes et les queues étaient normales, et pas particulièrement excessives, le rendement assez bon (peut-être 5 %, mais je n'ai pas pesé précisément la matière mise en œuvre).
Bon alors, est-ce-que c'était bon ?
Et bien, les premiers jours, c'était… très intéressant… un nez un peu terreux, des arômes évoquant curieusement alternativement la poire ou la pomme, Un fond de verre légèrement ammoniaqué… en tout cas, beaucoup de choses et de beaucoup de puissance.
Et puis au bout de quelques temps, tout ça c'est harmonisé de façon très convaincante donnant une eau-de-vie à la fois surprenante, puissante, avec un méchant goût de reviens-y. J'avais fait un réglage assez fort, vers 50°.
C'est donc une eau-de-vie très complexe, comme l'est le calva à sa manière, puissante et aussi éloignée du Kirsch que la patate l'est de la cerise. Il y a des éléments aromatiques rares et intéressants comme par exemple ce fond d'ammoniaque qui serait rédhibitoire à plus forte dose mais qui ici apporte une note essentielle (et donne le goût de reviens-y). L'ammoniaque est d'ailleurs utilisé dans l'industrie alimentaire ou para-pharmaceutique (dans les dentifrices) pour créer une dépendance à un produit. (il est indispensable aux fabricants de tabac) L'ammoniaque a ce côté pipi-caca qui nous touche au plus profond de notre être et les "notes de fond "de la parfumerie évoquent souvent ces arômes fondamentaux (ambre, musc…). On doit d'ailleurs se souvenir de l'odeur abominable de cadavre de la pomme de terre en décomposition.
En fait, j'avais déjà goûté des eaux-de-vie de pommes de terre, mais la plupart ne m'ont pas laissé de souvenir comparable à ma production expérimentale (oui je sais, sa propre gnôle, c'est comme son nouveau-né, il a beau être complètement difforme, c'est quand même toujours lui le plus beau…). J'attribue ce fait plus à la qualité des pommes de terre qu'à mon excellence : il existe de nombreuses variétés, et dans la même catégorie, il y a encore de grandes différences de qualité dues au type de culture (mes pommes de terre étaient vraiment supérieures). De la même façon, "prune" est terme vague qui peut désigner la meilleure mirabelle de Nancy, ou la pire "prune à cochon" : leurs eaux-de-vie seront tout aussi différentes.
Je sens que je vais remettre ça l'an prochain…
Le procédé d'Armin Marchon :
Comment je distille 100 kg. de matières premières de pommes de terre
1. Chauffer 100 kg. de pdt (dans la marmite d'un alambic par exemple).
2. Ajouter environ 10 ml. d'enzymes bactériennes (VF "Kartoffel") dans un fût de 200 litres et ajouter l'eau de la marmite à 90°c./95°c.
3. Ajouter les pdt chaudes.
4. Laissez refroidir, brasser de temps en temps.
5. Entre 55°c. et 58°c., ajouter VZ pour la saccarification, environ 20 ml.
6. Laissez refroidir, brasser de temps en temps.
7. Vers 30°c./35°c., rajouter 1 sachet et demi de levure. La levure doit être préparée dans de l'eau à 30°c./35°c. en ajoutant une cuillère de sucre pour la nourrir.
8. Important ! Distiller les matières fermentées après 4 ou 5 jours. Le fût doit être entreposé à 18°c./25°c. pendant la fermentation.
Les enzymes utilisées dans ce travail viennent des établissements Schliessmann, en Allemagne représenté en France par www.simaco-shop.com/fr/.
Post-Scriptum : La Châtaigne :
L'an dernier, j'avais fait un essai d'eau-de-vie de châtaignes (j'habite dans la région d'Olargues, célèbre pour son excellent marron). Le procédé m'avais été donné par mon ami Freddy Ycks, grand distillateur et grand amateur. Malheureusement, la fermentation avais échouée à cause de la température trop froide à la saison des châtaignes. Voici le procédé détaillé que m'avais préparé ce technicien virtuose.
Au chapitre "recherche et développement" de mon activité (qui comprend l'essentiel de mon énergie, surtout la recherche…), je tenterai à nouveau l'eau-de-vie de Marron d'Olargues, avec la recette d'Armin, plus simple à mettre en œuvre.
Le procédé de Freddy Ycks pour la châtaigne :
"Voici comment il faut procéder:
Récolter les chataignes et sans tarder (pour éviter la naissance des oeufs de vers) procéder à l'épluchage
Pour éplucher, on peut employer le procédé à sec ou humide
Le procédé à sec consiste à faire tourner les chataignes au dessus d'un feu dans un cylindre qui peut être un ancien tambour de machine à laver
ou alors n'imorte quel bricolage du moment que ça tourne et qu'il y ait du feu en dessous, j'ai vu en aveyron un gars qui avait fait un cylindre en grillage fin, des trous de
environ 15 mm et qui soumettait ça à un gros chalumeau. Il faut éviter de brûler les chataignes, le brûlé donne toujours des mauvais goûts irrécupérables.
L'avantage de ce procédé est que les chataignes en se mélangeant et s'entrechoquants dans le tambour, vont être faciles à éplucher.
Le procédé humide, c'est de faire cuire à presque ébulition, environ 90°c, pas plus, les chataignes dans l'eau, puis on pèle.
Quand les chataignes sont froides, on doit les écraser ou les broyer
Puis on ajoute de l'eau et des amylases (que l'on trouve chez Browland) pour obtenir un produit lisse pas trop pâteux et disons plutôt dilué, si on mouille trop, on devra trop
chauffer dans la cuve de distillation, si on mouille trop peu, on peut brûler si on travaille à feu direct.
Puis, ça se corse, il faut chauffer, et atteindre 63°c et rester à cette T° avec une précision de ± 1°c pendant 45 min à une heure minimum
Ensuite on continue à chauffer et on fait un second palier à 73°c pendant 40 minutes
A ce moment là, on fait un test à la teinture diode, on prélève un petit échantillon et on met une ou deux goutes de teinture d'iode, celà doit rester brun rouille, le résultat ne peut pas être bleu clair
sinon, ça veut dire qu'il reste de l'amidon et il faut alors rester plus longtemps à 73°c
Puis on monte à 78°c pendant 25 minutes pour la saccharification finale
On a fini, et on doit avoir un jus très sucré. On peut alors passer à la fermentation après avoir refroidi le produit vers 25°c, on ajoute des levures et on oygène bien en soufflant de l'air comprimé, ou mieux de l'oxygène dans le produit, au moins 3 minutes pour rajouter l'oxygène nécessaire au développement des levures. On peut encore rendre un coup d'oxygène ou d'air après 12 heures. On ajoute des sels nutritifs pour levures et ferme le tonneau avec une bonde et un respirateur ou barbotteur. On laisse fermenter jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de CO² qui sorte du barbotteur, cad au moins 15 jours à 20°C.
Puis on distille si possible au bain marie, et si c'est pas bon, on a fait tout celà pour des prunes, par contre, les prunes c'est plus facile."
PS. de Matthieu : En fait, l''épluchage n'est pas obligatoire : on peut broyer les châtaignes avec un broyeur de jardin, puis repêcher les peaux qui surnagent pendant la cuisson (ouf !).
Merci à Armin Marchon, Fritz Etter, et Freddy Ycks pour leur générosité, sans oublier Dorothée et Aline pour leur aide à la pluche !
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