Devenir distillateur… quelques questions
- Le 22/10/2010
- Dans L'Atelier Public de Distillation
Comment devenir distillateur
Ce blog a pour vocation de notamment vendre mon livre expliquer comment distiller, ou devenir distillateur légalement, et ce n'est pas toujours facile de trouver des solutions tant les règlements peuvent être décourageants…
En témoigne ce lecteur passionné qui m'écrit cette lettre 3 jours après avoir reçu mon livre (ça fait plaisir d'être lu aussi vite !). Voici quelques réponses à ses questions, qui intéresseront les lecteurs qui souhaiteraient se mettre sur les rangs, ou simplement seront curieux du marathon administratif vécu par les bouilleurs.
Je dois préciser que j'ai eu moi-même la chance (!!!) de fréquenter un certain nombre d'agents de la gabelle puisque j'ai travaillé dans plusieurs régions. Si j'ai eu parfois des soucis, ils étaient de deux sortes : on a pu me tirer les oreilles à cause de ma négligence ou, plus souvent, de mon ignorance du règlement (un simple coup de fil de l'administration aurait très bien pu me permettre un régularisation rapide dans bien des cas, mais la procédure administrative utilisée -lettres recommandée, transfert du dossier vers d'autres services… transforme automatiquement n'importe quelle affaire bégnine en un cauchemar kafkaïen). Par chance, je m'en suis toujours bien tiré et je n'ai jamais eu d'amende (ce qui est rare chez les bouilleurs ambulants). Actuellement, j'ai de très bons rapports (c'est à dire normaux) avec mes bureaux de référence, ce qui vient du fait que nous nous connaissons maintenant bien (et que je suis réglo bien sûr).
Mon souhait profond est que le service des douanes s'occupant de la distillation familiale ou artisanale soit chargé, à l'image de la Régie Fédérale des Alcools suisses (voir "L'Alambic"), non plus seulement de contrôler la production taxable et de punir les fraudes, mais de participer à un réel travail de fond en collaboration avec les fédérations de bouilleurs (syndicats de bouilleurs ambulants ou de bouilleurs de cru par exemple) pour adapter les méthodes aux demandes et aux besoins de cette activité marginale et patrimoniale. Tant qu'un service de contrôle dédié à cette activité ne sera pas créé, il faut s'attendre à des difficultés dues aux différences naturelles qui existent entre les uns et les autres.
MAIS, en attendant cette situation utopique, il est souhaitable que, de part et d'autre, des efforts soient fait pour, chacun, faire correctement son boulot. C'est possible, notamment depuis que la distillation familiale est devenu tellement peu importante que le lobby des alcools industriels ne fait plus pression sur le pouvoir pour la supprimer…
Voici ce courrier, avec mes commentaires (et, plus bas, les vôtres, ça serait bien ;-)
Salut Matthieu,
J'ai bien lu ton bouquin, d'ailleurs bravo c'est un chouette ouvrage ! Mais je n'ai pas trouvé toutes les réponses à mes questions, c'est pourquoi je me permets de te contacter personnellement !
De mon coté je viens de haute savoie où il existe encore quelques petites distilleries fixes (toute l'année) et surtout un grand nombre de bouilleurs ambulants !
moi pour l'instant je me contente d'aller distiller mes fruits chez l'alambinier pour faire mon eau de vie et ensuite de préparer tous types de liqueurs avec mon eau de vie de pommes ... Mais j'aurai aimé poussé un peu tout ça en pouvant distiller moi même et commercialiser mes eaux de vie et liqueurs ... Et comme toi laisser les gens venir distiller leurs mouts à l'alambic !
Du coup je fais un ptit courrier à la douane pour avoir quelque réponse à mes interrogations et là elle me précise qu'il n'est plus possible de laisser des gens venir distiller chez soi car c'était un privilège qui se transmettait de père en fils pour les bouilleurs ambulants et c'est tout. Je ne connaissais pas cette loi !?!
Ensuite elle me précise qu'il faut trouver un organisme cautionnaire ! Sans plus de précisions hormis que ce serait certainement la chose la plus délicate à trouver !!! et elle m'a dit ausssi que je n'avais pas le droit de vendre l'alcool à des particuliers ...
Ah et aussi à peu près 18€ de taxe sur la vente de l'alcool pur !!! C'est vraiment autant que ça ou c'est juste pour me décourager ?
Ayant suivi une petite formation en herboristerie, je suis en train de me demander si les HE ne seraient pas plus faciles à produire ?!?
Voila après toutes ces infos je voulais savoir comment toi tu t'étais installé ? le temps que tu avais passé en paperasse avant de pouvoir vendre ?
Et que produit tu pour la vente ? uniquement la fine de Faugère ?
Si jamais tu pourrais donner ton avis sur ces quelques questions ce serait sympa !! J'ai plein d'espoir en la distillation et pas forcement envie de laisser l'état nous saouler avec leurs alcools industriel .. Mais je ne vois pas trop vers qui me tourner concernant la réglementation et tout ce bazar administratif
Merci d'avance
D'abord, c'est moi qui te remercie pour nous faire part de cette aventure ! maintenant, voyons chaque point :
un privilège qui se transmettait de père en fils pour les bouilleurs ambulants et c'est tout
Comme quoi, il n'y a pas que les particuliers qui croient dur comme fer à la légende de l'hérédité du privilège ! Le problème ici, c'est qu'un fonctionnaire des douanes est supposé connaître la loi, et si ce n'est pas le cas, et on peut lui pardonner, il pourrait quand même être un peu plus prudent, voire se renseigner avant de lancer sa réponse lapidaire. J'ai très souvent connu ce genre de situation et je n'aurais jamais réussi à m'installer si je m'étais arrêté sur ce genre de refus. Tous les douaniers n'ont pas ce fonctionnement à priori négatif avec des simplifications abusives de la réglementation mais on en rencontre encore…
Il faut être très précis dans sa demande, ce qui suppose que l'on sait exactement ce que l'on cherche ; on ne demande pas un conseil aux douanes, on les informe que l'on veut utiliser une disposition précise, ils sauront mieux alors comment gérer correctement la situation.
Si tu souhaites faire de la prestation de service pour les récoltants particuliers (ou même des récoltants professionels), tu dois avoir un statut professionnel (artisan par exemple). C'est tout. L'alambic (ou les alambics) que tu utilisera sera déclaré, l'administration te fournira les papiers nécessaires pour enregistrer tes travaux, déplacer l'alambic, prendre des vacances &c… (et c'est là que tu commences à regretter la cocotte-minute…). Ton lieu de travail s'appellera un "Atelier Public de distillation", c'est le conseil municipal de la commune qui en demandera l'ouverture aux douanes, et tu seras le seul responsable des opérations. Si, comme moi, tu veux exploiter honteusement tes clients en les faisant travailler à la distillation de leur propre cru, tu en as le droit, mais c'est bien toi qui rempliras les papiers et qui garderas la responsabilité des opérations. C'est l'option "Bouilleur Ambulant", même si tu travailles dans un local privé et fixe.
Mais j'aurai aimé distiller moi même et commercialiser mes eaux de vie et liqueurs
il faut trouver un organisme cautionnaire
ça, c'est l'option "Distillateur de profession" qui, effectivement, demande au distillateur un cautionnement bancaire qui garanti aux douanes que les taxes seront payées en cas de disparition du distillateur, ou de banqueroute &c… ça ne sert absolument jamais mais ça fait travailler les banques. Il existe une banque spécialisée là-dedans, c'est l'Étoile, mais je crois que c'est assez cher. Le Crédit Agricole le fait aussi, et en fait fait, pas mal de banques. Personnellement, je dois payer dans les 150 à 200 € par an pour ce cautionnement. Je rappelle que ce cautionnement est exigé quand on a un stock d'alcool en suspension de droit (c'est à dire que les droits d'accises -les taxes sur l'alcools- seront payées lorsque l'alcool sortira de l'entrepôt, ou sera vendu), ce n'est pas obligatoire quand on est bouilleur ambulant, même si l'on a dans son atelier public quelques bonbonnes qui attendent quelques jours que le bouilleur de cru vienne chercher sa goutte (qu'il soit ou non privilégié, c'est à dire qu'il paye ou non des taxes). Ce statut de distillateur de profession demande que tu travailles dans une "distillerie", et non plus un "atelier public", ce qui implique de mettre le local aux normes (installation électrique anti-déflagrante &c…) ; par contre, un régime dit "spécial petites distilleries" qui s'adresse à tout ce qui n'est pas vraiment industriel (je ne me souviens plus des limites précises de taille, production &c…) permet l'utilisation d'alambics artisanaux sans compteurs volumétriques avec une comptabilité simplifiée (?). Le distillateur de profession peut acheter, transformer & distiller, vendre de l'alcool et des liqueurs.
On peut évidemment cumuler les deux statuts. C'est mon cas et si je distille toujours dans mon atelier public (prestation de service), je stocke les alcools dans mon entrepôt situé à quelques kilomètres.
que je n'avais pas le droit de vendre l'alcool à des particuliers
18€ de taxe sur la vente de l'alcool pur
Le bouilleur ambulant ne peux effectivement pas vendre d'alcool (ni aux particuliers, ni aux généraux d'ailleurs…) puisqu'il ne possède pas d'alcool ! Le bouilleur de cru ne le peut pas plus puisqu'il distille dans le cadre d'une production familiale (donc pas commerciale, d'où la réduction de 50 % sur les taxes octroyée par l'état). Ce sera le distillateur de profession qui seul sera autorisé à vendre sa production, en payant les taxes dans leur totalité (dans les 18 € par litre d'alcool pur effectivement, soit environ 8 € le litre d'eau-de-vie à 45° -taxes sur l'alcool + taxe sécurité sociale).
Ces taxes sont très lourdes c'est vrai, mais (mis à part les rhums qui ont un régime spécial) c'est valable pour n'importe quel alcool, même vendu en supermarché.
je suis en train de me demander si les HE ne seraient pas plus faciles à produire ?
En effet, c'est évident que ça fait réfléchir…
J'ai plein d'espoir en la distillation
Moi-même, distiller est l'une des très rares activités qui me rend heureux de me lever chaque matin pour aller travailler (mais en fait, je ne distille pas chaque jour…)
Si tu connais les plantes, tu as un atout important, je pense que les techniques et la sensibilité de ces deux types de distillations (alcools et huiles essentielles) sont vraiment complémentaires. Le distillateur de demain (dans l'hypothèse d'un "demain" dans une société en bonne santé) connaîtra les trois aspects de la distillation : alcools, parfums, et médecines.
pas forcement envie de laisser l'état nous saouler
C'est assez bien dit !
Pour ma part, j'ai commencé comme bouilleur ambulant seulement, puis en arrivant dans l'Hérault, les douanes m'ont imposé un cautionnement (abusivement, ou plutôt, à tort), que j'ai pris (devenir-distillateur.com n'existait pas encore pour me guider !), ce qui m'a encouragé à acheter des matières premières et vendre mes eaux-de-vie (fines, marcs, fruits…).
Mais je regrette vraiment de n'avoir vécu à l'époque de ce brandevinier qui criait brulair de vi ! dans le vieux Montpellier du XIX° siècle, avec pour seule charge son alambic sur le dos, sans soucis, sans sous…
Comme tu vois, ce n'est pas inaccessible… il suffit de s'accrocher et de passer un peu de temps avec l'administration au début (très bon pour devenir diplomate), et évidemment d'être passionné…
Si tu veux, on se donne rendez-vous au prochain épisode, quand tu nous décriras tes premières gouttes ?
Bon courage !
Chers lecteurs : N'hésitez pas à nous faire part de vos commentaires, de votre expérience, vos questions… échanger son expérience ou son avis c'est un peu trinquer ensemble, virtuellement mais quand même, c'est important… Merci !